Comment étais-je arrivé là ? Face à moi il y avait Pete Sampras et je devais servir ce qui était la première mise en jeu du match. Tout le public était silencieux, attendant l’instant où cette finale allait commencer. Je mettais mon pied devant la ligne blanche après avoir balayé la terre battue qui la masquait quelque peu puis je lançai la balle jaune dans ce ciel si bleu, si chaud. Je me mis en position comme je l’avais vu tant de fois à la télévision et je frappai de toutes mes forces dans la balle dans un mouvement de balancier élégant. La balle alla mourir dans le bas du filet. Il fallait me rendre à l’évidence : je ne savais servir qu’à la cuillère, et encore...
Le public interloqué, mon adversaire hésitant entre l’agacement et l’amusement, la directrice du tournoi profita du changement de côté pour venir me parler.
Le stade ne comprenait que deux gradins formant un coin et n’était pas du tout délimité à l’opposé de celui-ci. Ainsi nous nous éloignâmes facilement à la fois du bruit et des oreilles indiscrètes.
La directrice, d’environ 40 ans à mon avis, me parla durement en anglais et je ne comprenais que partiellement. Elle disait que je devais prendre au sérieux les spectateurs qui avaient payé leurs places, que je devais arrêter de faire le malin et toutes sortes d’autres choses. J’étais très distrait et je ne cherchais pas à me défendre. Devant moi, à quelques mètres, il y avait ce magnifique fleuve africain, presque noir, lisse, bordé d’arbres vert-foncés qui ondulaient sous une brise matinale au même rythme que la terre battue cuivrée projetée en figures dansantes.
Quand soudain je vis une forme dans l’eau ! Elle se mouvait très lentement sans faire un seul remous. Je prévins alors la directrice que non seulement je faisais ce que je pouvais avec mon faible niveau tennistique mais qu’en plus des crocodiles étaient dans les parages et qu’il valait mieux en finir avec ce match ridicule plutôt que de se faire croquer.
Après le match je flânais dans le petit village. Les arbres roses ou verts pleuraient leurs fleurs jusqu’à terre à côté des petites maisons actives faites de branches, sortes de grands fagots de bois troués d’une porte. Cette terre orangée que tout le monde foulait pieds nus, opposé à ce ciel si bleu et dont la couleur si pleine était parfois mise en relief ou au contraire dispersée par un oiseau volant à haute ou basse altitude, semblait imaginaire. Le bruit de ces gens qui travaillaient, qui discutaient, qui étaient présents, pourtant m’indisposait et je désirai m’éloigner.
Je me retourne vers la montagne. Toute verte, elle est calme. Les couleurs sont finalement aussi vives qu’au village, jaunes et bleus ici, blancs et violets là. Je continue de monter et l’air se fait plus doux, plus léger, alors que je commence à côtoyer de grands oiseaux de proie majestueux. La piste tourne autour de la montagne dont je vois le merveilleux sommet anguleux et dépouillé.
Arrivé au faîte je vois toute la savane à mes pieds, des troupeaux d’animaux divers, les reliefs extraordinaires comme dessinés par un géant qui ne sont visibles que d’en haut. Quelques fins nuages blonds harmonieux et plats s’allongent maintenant dans le ciel et le soleil commence à tomber lentement. Je décide de descendre.
Le paysage du village était surprenant et plus admirable encore que lorsque je l’avais quitté. Le soleil, au fond, était encore un disque plein mais touchait maintenant la ligne d’horizon en m’éclairant le spectacle d’une lumière rouge-orangée fascinante. D’autant plus que tout était rouge devant moi. Les arbres pleuvaient d’écarlate, sur un sol tout aussi rouge. Les petites maisons de bois étaient comme éclaboussées de sang par le soleil qui continuait de descendre. Mes chaussures, alors que j’errais ici et là, commençaient à se couvrir aussi de cette couleur. Tout était calme, plus personne ne bougeait. Les hommes, les femmes, même les enfants, étaient là, assoupis, allongés sous la chaleur encore présente de la journée. Le silence était total. En m’approchant du fleuve plus noir que jamais en amont, je voyais l’hémoglobine qui coulait et commençait à le teinter de la couleur de la vie maintenant disparue du village. J’étais seul, face à ce spectacle sordide et si beau.
Je devais rejoindre mon père aux USA. J’étais encore sous le choc de ce carnage mais la violence semblait alors universelle. Depuis peu les transports maritimes étaient plus fiables que les avions et je rentrais donc en bateau. Malgré le temps conséquent pour rejoindre la côte américaine, le voyage ne fut pas ennuyeux. En effet en pleine mer il arrivait souvent qu’il faille échapper aux navires de pêcheurs, peu scrupuleux, qui voulaient enrichir le fruit de leur travail, et l’assiette de leurs clients, en y mêlant de la viande rouge. Voulant attirer l’attention des grands de ce monde sur leurs revendications, ils attaquaient des innocents aisés pour les mettre en boîte et ainsi faisaient d’une pierre deux coups. En approchant de la côte, heureusement, les choses se calmèrent et les pertes humaines n’étaient pas si lourdes. Pourtant le climat social américain était très mouvementé et les canadairs envoyaient plus d’une fois par jour leurs tonnes d’eau sur les passagers, il y eut encore quelques morts...
Une fois accueilli par lui à New York, mon père me dit que nous devions nous rendre jusqu’à Houston en voiture pour plus de sécurité mais que le chemin risquait d’être mouvementé.
A peine arrivés sur l’autoroute nous fûmes pris en chasse par un missile glissant le long de la ligne blanche. Mon père réussit à l’éviter mais un deuxième engin nous arrivait dessus. Je pris mon passeport et celui de mon père et les lançai par la fenêtre pour appâter la chose car je pensais qu'ils étaient munis d’un dispositif magnétique qui devait l’attirer. Sous le choc de l’explosion la voiture fut touchée mais nous étions indemnes.
Désormais à pied nous devions faire du stop. Je me retournai donc pour voir arriver un autocar bardé de missiles sur le toit et couvert de slogans protestataires sur les côtés. Il s’arrêta pour nous dire qu’un autocar était le moyen le plus sûr pour traverser le pays et qu’il espérait qu’un jour les gens allaient le comprendre, je crus entendre « de gré ou de force » mais je montais dans le car en me disant que l’essentiel était de rester en vie. Et puis cela me semblait normal que les revendications se fassent directement au niveau des consommateurs libres de réguler eux-même leurs libertés. La note était salée mais nous rejoignîmes l’équipage sombre du bus constitué de vieilles personnes agressives.
Arrivés à Houston mon père me montra la fusée. La NASA l’avait baptisée JUNO mais je ne voyais en elle aucun symbole féminin. Elle était gigantesque, blanche et rutilante elle ressemblait quelque peu, mais en 5 fois plus élevée, aux fusées des missions Apollo, je ne me souvenais plus de leurs noms.
Le gouvernement américain avait décidé de rassembler la population mondiale derrière un projet très ambitieux : conquérir Jupiter. Faute de temps ils n’avaient pu mettre au point de vaisseau capable de faire l’aller-retour mais le projet avançait. Néanmoins ils avaient décidé d’envoyer mon père en urgence et d’aller le rechercher plus tard.
Mon père enfila son harnachement et son chapeau de clown blanc. C’était un chapeau en métal, pointu en forme de cône et immense, au moins 2 mètres de haut. Il se positionna en dessous de la fusée avec un masque à oxygène sur le nez et il entra par là. Il traversa toute la fusée, de bas en haut, en nageant. Celle-ci n’était en fait qu’un gigantesque réservoir de carburant. Il s'assembla au sommet de la fusée et je vis le petit, rapporté au reste, chapeau de clown dépasser : c’était le nez de la fusée !
La fusée trembla, puis une flamme sortit de dessous. Elle accéléra de façon prodigieuse. La poussée devait être colossale. Il s’élevait, s’élevait... je ne le voyais plus et je n’arrivais plus à me l’imaginer que redescendant nécessairement.
Le spectacle grandiose de ce départ puis quelques jours plus tard les films à l’intérieur de la station volante dans l’atmosphère jovienne emplirent le cœur du monde entier d’un nouvel espoir. Pourtant le travail n’était pas terminé, il fallait aller reprendre mon père.
Trois semaines après son arrivée sur Jupiter je regardais les informations à la télévision. La NASA avait décidé de financer un nouveau projet : Moon Train, le train jusqu’à la lune. Pour un prix de 500 dollars, tout le monde pourrait se rendre sur le satellite en 5 heures, y passer une journée et redescendre ! Le journaliste, aux anges, indiqua, mais ce n’était que secondaire, que le programme jovien était abandonné et que mon père allait mourir de toute façon dans quelques semaines.
Mon père était tout là haut, dominant le monde. Il attendait que celui-ci le rejoigne. A jamais. Sur Jupiter. Seul.
Le public interloqué, mon adversaire hésitant entre l’agacement et l’amusement, la directrice du tournoi profita du changement de côté pour venir me parler.
Le stade ne comprenait que deux gradins formant un coin et n’était pas du tout délimité à l’opposé de celui-ci. Ainsi nous nous éloignâmes facilement à la fois du bruit et des oreilles indiscrètes.
La directrice, d’environ 40 ans à mon avis, me parla durement en anglais et je ne comprenais que partiellement. Elle disait que je devais prendre au sérieux les spectateurs qui avaient payé leurs places, que je devais arrêter de faire le malin et toutes sortes d’autres choses. J’étais très distrait et je ne cherchais pas à me défendre. Devant moi, à quelques mètres, il y avait ce magnifique fleuve africain, presque noir, lisse, bordé d’arbres vert-foncés qui ondulaient sous une brise matinale au même rythme que la terre battue cuivrée projetée en figures dansantes.
Quand soudain je vis une forme dans l’eau ! Elle se mouvait très lentement sans faire un seul remous. Je prévins alors la directrice que non seulement je faisais ce que je pouvais avec mon faible niveau tennistique mais qu’en plus des crocodiles étaient dans les parages et qu’il valait mieux en finir avec ce match ridicule plutôt que de se faire croquer.
Après le match je flânais dans le petit village. Les arbres roses ou verts pleuraient leurs fleurs jusqu’à terre à côté des petites maisons actives faites de branches, sortes de grands fagots de bois troués d’une porte. Cette terre orangée que tout le monde foulait pieds nus, opposé à ce ciel si bleu et dont la couleur si pleine était parfois mise en relief ou au contraire dispersée par un oiseau volant à haute ou basse altitude, semblait imaginaire. Le bruit de ces gens qui travaillaient, qui discutaient, qui étaient présents, pourtant m’indisposait et je désirai m’éloigner.
Je me retourne vers la montagne. Toute verte, elle est calme. Les couleurs sont finalement aussi vives qu’au village, jaunes et bleus ici, blancs et violets là. Je continue de monter et l’air se fait plus doux, plus léger, alors que je commence à côtoyer de grands oiseaux de proie majestueux. La piste tourne autour de la montagne dont je vois le merveilleux sommet anguleux et dépouillé.
Arrivé au faîte je vois toute la savane à mes pieds, des troupeaux d’animaux divers, les reliefs extraordinaires comme dessinés par un géant qui ne sont visibles que d’en haut. Quelques fins nuages blonds harmonieux et plats s’allongent maintenant dans le ciel et le soleil commence à tomber lentement. Je décide de descendre.
Le paysage du village était surprenant et plus admirable encore que lorsque je l’avais quitté. Le soleil, au fond, était encore un disque plein mais touchait maintenant la ligne d’horizon en m’éclairant le spectacle d’une lumière rouge-orangée fascinante. D’autant plus que tout était rouge devant moi. Les arbres pleuvaient d’écarlate, sur un sol tout aussi rouge. Les petites maisons de bois étaient comme éclaboussées de sang par le soleil qui continuait de descendre. Mes chaussures, alors que j’errais ici et là, commençaient à se couvrir aussi de cette couleur. Tout était calme, plus personne ne bougeait. Les hommes, les femmes, même les enfants, étaient là, assoupis, allongés sous la chaleur encore présente de la journée. Le silence était total. En m’approchant du fleuve plus noir que jamais en amont, je voyais l’hémoglobine qui coulait et commençait à le teinter de la couleur de la vie maintenant disparue du village. J’étais seul, face à ce spectacle sordide et si beau.
Je devais rejoindre mon père aux USA. J’étais encore sous le choc de ce carnage mais la violence semblait alors universelle. Depuis peu les transports maritimes étaient plus fiables que les avions et je rentrais donc en bateau. Malgré le temps conséquent pour rejoindre la côte américaine, le voyage ne fut pas ennuyeux. En effet en pleine mer il arrivait souvent qu’il faille échapper aux navires de pêcheurs, peu scrupuleux, qui voulaient enrichir le fruit de leur travail, et l’assiette de leurs clients, en y mêlant de la viande rouge. Voulant attirer l’attention des grands de ce monde sur leurs revendications, ils attaquaient des innocents aisés pour les mettre en boîte et ainsi faisaient d’une pierre deux coups. En approchant de la côte, heureusement, les choses se calmèrent et les pertes humaines n’étaient pas si lourdes. Pourtant le climat social américain était très mouvementé et les canadairs envoyaient plus d’une fois par jour leurs tonnes d’eau sur les passagers, il y eut encore quelques morts...
Une fois accueilli par lui à New York, mon père me dit que nous devions nous rendre jusqu’à Houston en voiture pour plus de sécurité mais que le chemin risquait d’être mouvementé.
A peine arrivés sur l’autoroute nous fûmes pris en chasse par un missile glissant le long de la ligne blanche. Mon père réussit à l’éviter mais un deuxième engin nous arrivait dessus. Je pris mon passeport et celui de mon père et les lançai par la fenêtre pour appâter la chose car je pensais qu'ils étaient munis d’un dispositif magnétique qui devait l’attirer. Sous le choc de l’explosion la voiture fut touchée mais nous étions indemnes.
Désormais à pied nous devions faire du stop. Je me retournai donc pour voir arriver un autocar bardé de missiles sur le toit et couvert de slogans protestataires sur les côtés. Il s’arrêta pour nous dire qu’un autocar était le moyen le plus sûr pour traverser le pays et qu’il espérait qu’un jour les gens allaient le comprendre, je crus entendre « de gré ou de force » mais je montais dans le car en me disant que l’essentiel était de rester en vie. Et puis cela me semblait normal que les revendications se fassent directement au niveau des consommateurs libres de réguler eux-même leurs libertés. La note était salée mais nous rejoignîmes l’équipage sombre du bus constitué de vieilles personnes agressives.
Arrivés à Houston mon père me montra la fusée. La NASA l’avait baptisée JUNO mais je ne voyais en elle aucun symbole féminin. Elle était gigantesque, blanche et rutilante elle ressemblait quelque peu, mais en 5 fois plus élevée, aux fusées des missions Apollo, je ne me souvenais plus de leurs noms.
Le gouvernement américain avait décidé de rassembler la population mondiale derrière un projet très ambitieux : conquérir Jupiter. Faute de temps ils n’avaient pu mettre au point de vaisseau capable de faire l’aller-retour mais le projet avançait. Néanmoins ils avaient décidé d’envoyer mon père en urgence et d’aller le rechercher plus tard.
Mon père enfila son harnachement et son chapeau de clown blanc. C’était un chapeau en métal, pointu en forme de cône et immense, au moins 2 mètres de haut. Il se positionna en dessous de la fusée avec un masque à oxygène sur le nez et il entra par là. Il traversa toute la fusée, de bas en haut, en nageant. Celle-ci n’était en fait qu’un gigantesque réservoir de carburant. Il s'assembla au sommet de la fusée et je vis le petit, rapporté au reste, chapeau de clown dépasser : c’était le nez de la fusée !
La fusée trembla, puis une flamme sortit de dessous. Elle accéléra de façon prodigieuse. La poussée devait être colossale. Il s’élevait, s’élevait... je ne le voyais plus et je n’arrivais plus à me l’imaginer que redescendant nécessairement.
Le spectacle grandiose de ce départ puis quelques jours plus tard les films à l’intérieur de la station volante dans l’atmosphère jovienne emplirent le cœur du monde entier d’un nouvel espoir. Pourtant le travail n’était pas terminé, il fallait aller reprendre mon père.
Trois semaines après son arrivée sur Jupiter je regardais les informations à la télévision. La NASA avait décidé de financer un nouveau projet : Moon Train, le train jusqu’à la lune. Pour un prix de 500 dollars, tout le monde pourrait se rendre sur le satellite en 5 heures, y passer une journée et redescendre ! Le journaliste, aux anges, indiqua, mais ce n’était que secondaire, que le programme jovien était abandonné et que mon père allait mourir de toute façon dans quelques semaines.
Mon père était tout là haut, dominant le monde. Il attendait que celui-ci le rejoigne. A jamais. Sur Jupiter. Seul.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire