07 avril 2006

Acte premier

Je pouvais enfin en caresser la surface, si lisse et si douce. Elle sentait la cannelle ou le chêne, à chacun de mes mouvements je comprenais les origines de ses sens. Sa peau était un cuir fin et mat, moelleux sous la pression tendre de ma main. Je mis celle-ci en dessous, je sentais les petits replis au bout de mon doigt. Je l’embrassai et l’ouvris précautionneusement au hasard. Un effluve humide invita mon attention à se faire plus grande. Je mis toute ma main, mon majeur effleurant la fente écartée, pour comprendre qu’il n’était pas si humide, que je pouvais continuer à le manipuler. Je cherchais en moi le souvenir de cette langue employée. Il fallait que je la déchiffre toute entière tout de suite, sans plus tarder, dans toute sa profondeur. J’avais attendu ce moment si longtemps que j’avais peur de tout brusquer. Je commençais, avec beaucoup de calme, puis avec passion.

C’était l’acte premier, l’œuvre référence à toute forme artistique. Il n’y avait pas de référence culturelle, pas de présupposé. Je pouvais désormais reconstruire la pensée humaine. Il me semblait détenir toute l’humanité entre mes bras, mouvante, elle dansait pour moi seul. J’avais présupposé son existence secrète après la lecture d’une nouvelle de Borgès, du fondement de la morale, de Nietzsche et d’un passage de la bible. Ces ouvrages laissaient entendre, de façon différente les uns des autres, l’existence d’un passé littéraire caché qui abordait les principaux axiomes du monde tel qu’il nous apparaît.

Les expressions étaient simples mais étranges, le langage était utilisé comme jamais je ne l’avais vu, sans mise en perspective, sans passé. C’était un texte premier, un modèle de forme écrite. J’étais à la recherche de ce livre depuis maintenant trois ans, mais il me semblait l’avoir attendu toute une vie.

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