19 mars 2007

Volonté de puissance

Je ne reviendrai pas sur l'accusation de nazisme dont Nietzsche a combattu les prémisses bien plus que Jésus aurait combattu le dogme qui aboutit nécessairement à une inquisition ou que Voltaire prônait l'immuabilité de l'ordre pour couper court à la Terreur.

Le premier point est celui de la ringardise: citer Nietszche lors d'un dîner en ville serait ainsi le comble du ridicule. Tout d'abord je ne comprends pas bien cette peur du ridicule qui me parait un peu infantile. D'autre part bien que je dîne en ville parfois je n'ai jamais ressenti une telle chose (mais il est vrai que ça me passe par dessus la tête, ou en dessous des pieds, je ne sais pas). J'imagine que je ne participe pas aux bons dîners au milieu de l'aristocratie qui compte. Je m'interroge aussi sur la validité du raisonnement tant je crois qu'on peut lire sans avoir derrière la tête l'idée de trouver de bons mots à pouvoir ressortir (bêtement je me crois même capable de ne pas avoir besoin de lire pour exceller dans ce domaine avec par exemple le fameux "Lâchez l'canard!"). Pire! Je crois qu'on peut être apprécié en multipliant les interactions sociales lors de tels évènements sans pour autant rencontrer l'assentiment des autres.

Un autre point est celui de la crédibilité de l'auteur devenu fou et à la vie pauvre en fétiches de tout genre. Certains vont même jusqu'à dire que sa pensée conduirait nécessairement à la perte de la raison. Je n'entends pourtant personne dire que lire Dostoievski rendrait épileptique pendant que son oeuvre peut être étudiée avec l'oeil du médecin (j'y vois deux poids deux mesures, certainement parce qu'il y a autre chose en jeu). Inversement je trouve Descartes et Socrates complètement ringards ce qui ne me fait pas regarder toute référence à eux avec dédain ou condescendance. Oui Nietzsche est tombé dans la folie, oui son aventure sentimentale personnelle ne s'est pas conclue par un mariage ou au moins, selon la norme de notre époque, une consommation. Pour autant la volonté de puissance, comme Freud, peut être lue pour tout le monde (le puissant veut exercer sa puissance, l'impuissant voudrait être puissant). Quel fou d'ailleurs souhaiterait que la folie ne soit jamais étudiée aussi dans ce qu'elle apporte comme diagnostic sur l'humanité toute entière ?

Cioran a qualifiée la philosophie nietzschéenne d'adolescente. Encore faudrait-il s'entendre sur le mot "adolescent". Je ne suis pas dupe et reprendre aujourd'hui cet argument c'est surtout accuser encore d'une impuissance. J'ai lu Cioran et je ne me suis pas dit: "Voilà une philosophie d'une maturité sans égal", loin de là. Je me pose même la question de l'adolescence de la philosophie toute entière. Car voici une discipline qui voudrait remettre en cause ce qui va de soi, aller à l'encontre de l'a priori pour comprendre, loin des pressions sociales et de son ordre, le fonctionnement du monde (et dieu sait que peu de philosophes avaient des têtes de vainqueurs) mais aussi pour proposer de nouvelles lois sur leur bonne foi (qu'on me trouve un philosophe ayant répété les paroles d'un autre sans, comme Pierre Ménard et son Quichotte, être accusé de plagiat). J'y vois là une attitude du rebelle qui ne s'est pas encore rendu à notre beau pragmatisme universel.

Enfin la beauté formelle est récusée. La rhétorique droitière moderne dirait qu'il s'agit là d'une critique d'envieux. Je ne vais pas tomber dans ce piège mais parfois je m'interroge, attendu que l'écriture est aussi un moyen de séduction. Je me dis aussi qu'il faut bien des lourdeurs de l'esprit pour tout vouloir prendre au pied de la lettre, ce que ne permet de toutes façons pas les choix stylistiques de Nietzsche. Il me parait contre productif de continuer de chercher à le faire. Ces mêmes arrivent pourtant par ailleurs à faire des études symboliques complexes sur la pourtant très pauvre Bible au regard de son ambition religieuse.

Sans comprendre que les objectifs personnels de Nietzsche correspondent à un moteur de tout homme, l'auteur est mis de côté par l'esprit du petit qui préfère considérer sa propre réussite avant d'en définir les moyens de mesure. On l'accuse alors de surcompensation comme on accuse le révolutionnaire de jalousie. Proust qualifiait certains nobles de snobisme... marque pour les imbus d'eux-même d'une méconnaissance de la langue française.


Tout à fait à l'opposé de Nietzsche, le seul penseur esthète de notre temps n'est pas mieux considéré. Pourtant connu à travers le monde, millionnaire au physique avantageux, doué dans toutes les formes d'exercices physiques, fortement multimédiatisé, intégré et performant dans le système politique social et économique en vigueur, possédant un pedigree sexuel suffisamment riche, le référent spirituel qui est le miens est déclaré inapte.
Jean-Claude Vandamme est en même temps adepte de sentences courtes et intelligibles qui s'inscrivent dans un discours par trop souvent tronqué par les médias. Contrairement à Descartes il est capable de répartie semblant trop superficielles aux médiocres obnubilés par la forme et bien souvent dépassés sur le fond.
Comme tout philosophe son approche ne considère qu'un modèle de la réalité bien trop difficile à embrasser dans son ensemble. Le siens a pourtant l'avantage d'extrapoler d'abord le quotidien, la cacahuète, avant d'aborder des notions plus complexes comme la négociation nécessaire avec le constructivisme mathématique dans le rapport social.

Peut-être là encore la peur de la confrontation des arguments face à quelqu'un de suffisamment habile pour envoyer un roundhouse-kick en pleine mâchoire sans sourciller, à la manière de Chuck Norris, tout en décochant un sourire capable de rassembler le public pour sa cause empêche le débat d'avoir lieu avec des soixantenaires vissés à leurs fauteuils.
C'est dans un joli retournement de la volonté de puissance que preuve est faite, en creux, de sa pertinence.

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