19 avril 2007

Une Heure

Deux possibilités s’offraient à moi : me rendre, ce qui équivalait à un suicide, foncer tête baisée, encore un suicide mais au moins je tuais les autres avec moi. Au dernier moment je braquai et fonçai à travers le champ d’à côté. Les autres derrière moi s’étaient arrêtés, et je me pensais en sécurité. Seulement je ne savais pas où j’allais, mes feux avaient explosé avec l’avant de la voiture à l’entrée du champ, la nuit était noire, et de dérapages en dérapages, pas moyen de m’orienter. D’un seul coup je m’embourbai. J’entendais les autres derrière moi qui faisaient ma chasse, j’éteignis le moteur pour ne pas me faire repérer et continuais à pied. Je courais le plus vite possible. Le froid me brûlait la gorge et la poitrine, je ne sentais ni mes pieds ni mes mains, mais j’entendais les autres qui me pistaient comme une bête. Plus j’avançais, plus j’entendais une sorte de ronronnement ; un moteur, c’était un moteur de camion. L’espoir enfin me faisait courir plus vite, je n’allais pas me faire descendre comme un chien. Tout d’un coup trois groupes de phares s’allumèrent sur moi. Je stoppai net. D’abord ébloui, je voyais petit à petit se dessiner les contours de trois furieuses moissonneuses batteuses lancées sur moi... Une lumière éclaboussa le ciel, et me brûla les yeux. Sous l’effet de l’onde de choc mes tympans avaient dû éclater, car je sentais du sang couler de mes oreilles, et je n’entendais ni le sol trembler sous moi, ni mes cris qui m’arrachaient la gorge. Puis ma peau, ma chair et mes entrailles me démangèrent atrocement, mon odorat m’indiqua que j’étais en train de me consumer. L’instant d’avant, il était minuit et nous étions dans le 21ème siècle...


Un lieu indéfinissable, car indéfini, blanc immaculé et baigné de lumière. C’est le vide autour de moi. Pas le vide froid et stérile que j’imaginais, mais le vide profond et impénétrable du possible et du probable. J’ai l’impression d’être au milieu de la feuille blanche d’un écrivain.
Dieu, moi.




Moi
Vous connaissez la suite. C’était un dimanche, le jour du Seigneur...

Dieu
Mon jour de repos... Vous savez bien que j’aurais pu éviter cela sans les empêchements dont je vous ai fait part.

Moi
Excusez-moi, mais il me semble que vous auriez dû prévoir en effet la chose, et bien avant que vos empêchements ne vous empêchent : un astéroïde a une trajectoire, vous deviez connaître celle-ci ?

Dieu
Pour tout vous dire, j’ai tout calculé, j’ai ici même les résultats des équations. Mais vous savez ce que c’est, je ne voulais pas faire d’erreur de calcul comme la dernière fois, j’ai tout vérifié mais ça m’a pris trop de temps. Ça fait une éternité que j’ai inventé les calculs de trajectoire, j’ai du mal à reprendre. Et puis vous n’imaginez pas le nombre de paramètres que je dois prendre en compte.

Moi
Voulez-vous dire que tout ça n’est qu’une histoire de calcul ? Vous avez dit : « comme la dernière fois », vous avez donc bel et bien fait une erreur de calcul. Mais enfin, une erreur de calcul, c’est ridicule !

Dieu
Je crois que c’est un de vos professeurs d’université qui disait : « De loin, nous sommes tous ridicules. », quelque chose comme ça.
(Un temps, ne voyant pas de contradiction de ma part)
C’est ça.
(Un temps)
Je vous l’ai dit, déjà, j’avais d’autres préoccupations. En fait je voulais préparer les fêtes de fin d’année : c’était logique, tout le monde se disait « l’an 2000 approche, ça va être la fin. » ou « l’an 2000 arrive et voilà où nous en sommes: nulle part. », j’avais envie de rassurer tout le monde, de redonner espoir.

Moi
C’est réussi !

Dieu
Ne soyez pas cynique. Mais vous avez raison, l’erreur de calcul est là. Figurez-vous que je voulais faire partager des nuits d’étoiles filantes au monde entier, un message d’espoir. Les météorites sont passées trop près, voilà tout. Vous savez, tout ceci n’a pas beaucoup d’importance.

Moi
Je croyais que vous étiez omnipotent, que l’erreur était chose impossible chez vous. Et puis, qu’y a-t-il d’important si ce n’est le monde dans lequel nous vivons? Nous les hommes, qui croyons en vous.

Dieu
Omnipotent je suis, j’ai le pouvoir surhumain de faire une erreur. De plus, je ne m’occupe pas de tout avec la même vigueur, il n’y a pas grande erreur quand il n’y a pas de volonté particulière: votre monde (tout comme votre histoire d’ailleurs) était hautement improbable.

Moi
Comment ça improbable, il existait, voilà tout. Toutes les lois statistiques sont impuissantes faces à cette réalité.

Dieu
Vous appliquez ici des concepts de votre monde improbable à la totalité de ce qui est. Regardez autour de vous, vous êtes dans le monde des Possibles et des Probables, voyez-vous votre univers, ou quoique ce soit de familier autour de vous ? Non. Votre monde est tellement peu probable qu’on ne peut pas le distinguer du néant.
(Un temps)
Je ne me détourne pourtant pas de vous, ne me faites pas de reproche, car vous même, vous êtes bien plus qu’improbable.

Moi
Tout de même !...

Dieu
Mais il est déjà une heure. Je dois passer au jugement de votre âme.

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