13 février 2009

Ce paysage qui défile

Ce matin j'écoutais à la radio un scientifique fasciné par le langage parfois jusqu'à l'obsession. Son discours était très intéressant malgré quelques divagations sur les anagrammes (Albert Einstein devenant par exemple "Rien n'est établi", hasard peu signifiant même s'il est chanceux) ou d'autres jeux de langue. Pourtant au détour de sa volonté de démontrer que la science était en concurrence avec le sens commun il s'est retrouvé à parler du temps qui passe et du paysage qui défile comme des impressions erronnées.
Pourtant dans ces deux expressions nous pourrions y trouver la référence à Albert Einstein, ou plutôt au principe suivant lequel rien ne serait établi, ce qui en soit n'est déjà pas si mal et remet à sa juste place tout le lourd héritage déterministe dont il est si difficile de se débarasser.

Le paysage défile et il est évidemment commode dans un rapport social de lui préférer la problématique du mouvement des corps, les uns par rapport aux autres, et du choix d'un référentiel. Il est une vérité que nous sommes attachés à la Terre, véritable référentiel du discours à mots couverts. Dans le rapport vécu au monde, cet autre rapport à la vérité, ce petit fait n'a pas beaucoup d'importance.
Nous y décrivons parfaitement le mouvement des choses et c'est très bien. Mais qu'aprenons-nous sur le paysage ? Pourrions-nous utiliser le mot Terre ou un autre à la place ? L'erreur de ce monsieur c'est d'oublier qu'aucun voyageur dans son train, regardant par la fenêtre, ne se dit qu'un référentiel est en train de défiler devant ses yeux. Si il préfère le mot paysage ce n'est pas pour rien et, en l'occurrence, je propose qu'il désigne ce qui défile justement. Il est pourtant possible d'admirer un paysage sans bouger pourrait-on arguer. Mais plutôt que de conclure de cet apparante incohérence qu'il s'agit de deux choses différentes, que la langue se trompe, je préfère mettre en relief la différence entre bouger et défiler.
Un paysage peut-il défiler sans bouger ? Mais oui ! Puisque je dis que c'est dans la nature du paysage de défiler. C'est à dire qu'un paysage fixe défile, au contraire d'une photo, ou d'une toute autre représentation du paysage fixe: le spectateur sait d'ailleurs parfaitement faire la différence.

Le paysage défile, comme un fil d'une bobine qui fait aparaître et disparaître des univers monodimensionnels superposés. Un fil enroulé qui possède des couleurs différentes à ses deux extrémités ne change pas de couleur à mesure qu'on le déroule (ou qu'on peut deviner entre les fibres quand on ne le déroule pas), mais il existe quelque chose englobant la couleur qui défile devant le spectateur associal, cet "homme-vrai", référentiel fixe à tout rapport culturel. Ce quelque chose c'est le paysage ; un paysage un peu restreint, celui du fil, mais aussi tout un univers qui peut se dérouler entre ses doigts ou sous les rails d'un train imaginaire l'emportant tout autour de celle-ci comme tout autour de la Terre, tout autour de la mer, tout autour du soleil, de la lune et des étoiles, sans interruption et à tout jamais.
Dans la réalité il est possible que le bonhomme soit fixe sur Terre et tienne une bobine de fil qu'il faudrait dérouler pour vérifier si elle possède plusieurs couleurs. Certes. Mais alors que dire de ce train que ni moi, auditeur, ni le monsieur qui parlait ne prenions à cet instant ? Comment se fait-il que quand il a parlé de paysage défilant j'ai compris "paysage défilant" plutôt que de système physique ? Sa démonstration de l'erreur du sens commun par rapport à la science est basée sur une arnaque. Imaginons un corps en mouvement par rapport à un ensemble de corps immobiles les uns par rapports aux autres, même pour le sens commun rien ne défile.

Le paysage défile et ne représente d'ailleurs aucun intérêt à l'étude mécanique de la réalité comme le hot-dog ne permet pas plus la résolution d'une équation lorsqu'il est assaisonné de moutarde plutôt que de ketchup même si pour le mathématicien du moment, car il est homme-vrai aussi, ça veut dire beaucoup.

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