11 août 2009

L'éclat de la lâme d'un couteau

Depuis combien de temps flânais-je là, sur les bords du Styx, dans l'obscurité écrasante des quatre grands murs de la bibliothèque de Babel ? J'avais essayé de ne pas m'attarder, de faire un grand feu à la sortie de ma grotte, mais malgré moi, alors que je croyais m'enfuir vers un soleil haut dans le ciel, je m'étais enfoncé dans les entrailles de la Terre pour y perdre la vue, pour y perdre la raison. La seule lumière que je voyais était celle de cette petite étincelle qui ne cessait de me brûler les entrailles, de me torturer sans répit.
Les Dieux m'avaient puni comme autrefois Sisyphe et d'autres encore. Sans cesse je travaillais à faire cesser les battements trop vifs de mon coeur, sans cesse les parois de celui-ci frôlaient un arc électrique bleu qui me faisait ressentir des pulsions terribles, des émotions trop intenses.
C'est alors que perçant l'obscurité devant mes yeux, si habitués qu'il ne voyaient même plus le noir qui m'habitait, je vis la lumière d'une lanterne à travers les brumes. La lumière flottait comme par magie au-dessus de l'eau brune du fleuve tumultueux. Puis je vis une main, un bras et reconnu rapidement la silhouette haïe et chérie de la Mort, ce démon qui m'a côtoyer toute une année d'automne au début de ma jeunesse, lorsque contre toutes mes attentes naïves les bourgeons du printemps ont soudainement jauni et dépéri, lorsque le bois craqua si fort que la foudre ne descendit plus jamais sur les arbres.
Elle enleva son capuchon et je la vis plus belle encore que dans mes souvenirs, auréolée d'un scintillement sans doute causé par les larmes qui perlaient dans mes yeux. Je voulais crier le nom (ridicule) de cette Mathilde qui faisaient et défaisaient tous les fils de mes rêves adultes, mais je n'avais plus de voix depuis des années. Dans son absence elle m'avait enlevé toute humanité, toute faculté d'exprimer les caractéristiques d'un être vivant.
Elle tenait de son autre main un fil ténu, le miens.
Ce fil je l'attrape, en songeant qu'il me mènera sans doute hors de ce labyrinthe cauchemardesque que je me suis moi-même inventé. Je sais bien qu'elle va le lâcher, mais peu importe, peut-être vais-je pouvoir retrouver mon nom, après 20 ans d'une secrète absence. Et je salue au passage cette âme soeur, tantôt revenue à ma mémoire, dont je ne cesse d'observer qu'avec dédain la sérénité qu'elle m'offre, comme le mépris d'un destin trop simple, emporté dans la tempête de toutes mes peurs rassemblées.

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