Calypso,
c'était le nom qu'on lui avait donné, le nom de la déesse du centre du
monde. Elle aurait voulu s'appeler Mnemosyne, mais après tout, voilà au
moins une chose qui ne pouvait être de son choix. Depuis maintenant 15
ans elle avait décidé de se retirer du monde, de se retirer de
l'obligation de faire des choix, de ne plus peser sur les destinées. Et
depuis tout ce temps c'était comme un compte à rebours qui s’égrainait,
inarrêtable, infatigable, seul compagnon de sa cellule, presqu'oubliee
au fin fond de l'hôpital d'Esquirol, à Paris. Le zéro qui en marquait la
fin était proche : le vide absolu, la disparition... c'était du domaine
du maintenant. Le moment de toutes ses peurs et qui l'avait menée aux
portes de la folie, était-elle prête à l'affronter ?
On
toqua à la porte, ce serait pour la dernière fois. Tout le personnel de
l'hôpital savait que l'ouverture en était interdite, par la volonté de
la patiente. Mais cette fois...
- Ouvrez, dit-elle calmement, résignée.
Très
loin, dans une grande chambre à peine éclairée, une grande fenêtre
dominant une mégapole scintillante sous le soleil laisse passer un
courant d'air. Un long frisson parcourt un corps féminin qu'on devine
sous un voil blanc quasiment transparent. Une main noire comme une
ombre, posée jusque là sur la hanche de la femme, se retire calmement,
comme une caresse presque sensuelle.
- Guile ? dit une voix ténébreuse impossible à localiser dans la pièce. Nous l'avons. Veil l'a trouvée.
- Nous avons peu de temps, dit Calypso au vieil homme en fauteuil roulant et au teint burine par trop de soleil méditerranéen.
- Je suis... commença-t-il.
- Je sais qui vous êtes. Je sais tout.
- C'est que je vous cherche depuis longtemps.
- Oui.
- Et j'attends ce moment depuis bientôt 3000 ans.
- Oui.
-Nous devons y aller. Maintenant ! insista-t-elle.
Le
vieil homme agrippa les accoudoirs de son fauteuil, et les tâches de
vieillesse disparurent de ses mains, il se leva et ses cheveux blancs se
changèrent en belles boucles noires, son regard jauni de cataracte
devint d'un noir absolu dans un blanc de nacre. Vif comme l'éclair,
c'est en jeune homme qu'il prit Calypso dans ses bras. Ils
s’évanouirent tous deux dans l'explosion de la cloison.
Il existe un endroit sur Terre, secret.
Tenu
caché du commun des mortels depuis des temps immémoriaux pour des
raisons évidentes : il y fait chaud... trop chaud, à un point précis
situé à environ 1m50 du sol. De nombreux incendies ont eu lieu,
d’anciens temples païens se sont écroulés, des catastrophes
scientifiques... une température anormale, semblant indépendante du
milieu. Certaines peintures rupestres des premiers hommes en témoignent
déjà, non loin. C'est ici que Calypso et Philippides réapparaissent,
quelques instants à peine après avoir disparus d'Esquirol.
- Je dois y aller seule.
- Je ne serai pas loin.
- Ce sera toujours trop loin, dit-elle avec tendresse.
- Je ne crois pas, répondit-il avec un sourire sur de lui.
- O que si, dit-elle, une larme dans les yeux.
-
C'est la seule chose que je ne comprends pas tu sais ? continuait-elle,
toujours sous le coup de son émotion. Je connais l'avenir de l'univers,
mais le mien semble s'arrêter ici... ou plutôt... il fait une
parenthèse. Cela peut-il avoir un sens ? un avenir qui fait une
parenthèse ?
Elle
lui tourne le dos et part. Philippides la suit de son regard, sur le
qui-vive, plus jeune et flamboyant que jamais, certain de pouvoir la
sauver.
Arrivée
au point chaud, Philippides voit surgir du néant une sorte de bras
robotique à l’extrémité duquel un poignard s'abat sur Calypso. Il prend
appui et s'élance, atteignant instantanément une vitesse quasiment
impossible à mesurer. L'air devient presque solide pour celui qui veut
se mouvoir avec une telle vélocité, le temps semble s'arrêter...
quasiment. Quelle que soit la fraction de temps dans laquelle aurait pu
réagir Philippides, celle-ci aurait été infiniment plus grande qu'un
simple instant, cet instant au cours duquel le point chaud devint un
point froid, s’accaparant l’énergie environnante, et duquel Calypso
disparu.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire