31 octobre 2018

Ultra-présent

J’ai oublié de te parler de l’introduction ; ça aurait été du genre : Il faut que je retienne tout ça, je vais devoir l’écrire. Il faudra que je trouve un moyen de faire une introduction dans laquelle le temps existe, et puis d’un coup bam! le présent… en même temps je ne sais pas si c'est très ultra-présent ça.
J’étais en train de rentrer chez moi, en voiture. J’écoutais la radio, il s’agissait d’un entretien littéraire avec un écrivain, et l’intervieweuse lance le mot “ultra-présent”. Je n’écoutais que d’une oreille alors je ne sais pas de quoi elle parlait, dans mes réflexions personnelles, entre réflexions sur l’amitié, plaisir d’un apéro, la conduite, la projection dans mon retour à la maison… je n’entends quasiment que ce concept, ou plus exactement maintenant que j’écris mes pensées c'est la seule chose que j’ai retenue.
“Ultra-présent”, que serait-ce donc ? l’annihilation temporaire de l'écoulement du temps ? il faudrait penser un processus narratif émancipé de tout processus narratif, où les événements s'imbriqueraient plutôt que de se succéder. On aurait dit que le concept-clé ce serait la superposition… jouons. Et je me suis dit, voilà, c’est ça qu’il faut que je te raconte, la soudaineté du présent, qui s’accumule. Mais alors avec ce procédé narratif contre-narratif il faudrait raconter une histoire, même si elle ne serait qu’une pile de choses, avec la simultanéité des idées et des sentiments. Oui, c’est ça qu’il faut que je te raconte… très bien le présent, mais quoi alors ? Mais ça justement. C’est meta, pas si original, mais c’est ça mon ultra-présent : la question de ce qu’est l’utra-présent. Bien sûr mes sentiments, mes pensées ont une temporalité, et se raccorde à une historicité du monde, on pourrait faire des flash-back pour retracer justement le temps de chaque sensation… mais ce serait se rapprocher de la Recherche du Temps Perdu de Proust, et sa madeleine, oui… ce moment qui en un clin d’oeil retrace le temps passé puis finalement retrouve la temporalité. Mais ce n’est que le présent ça, pas l’ultra-présent, c'est simplement le présent qui s'écoule, le présent de la littérature. Depuis combien de temps je n’ai pas ressenti le besoin d’écrire, je me dis, je me dis que je me dis que ça fait longtemps que je n’ai pas eu envie d’écrire. Ah voilà, c'est le besoin d’écrire, je le reconnais, il faut que je le tienne parce que là je conduis, je ne peux pas écrire. J’avais raconté autrefois comment je devais m’organiser pour pouvoir écrire lorsque soudain je devais le faire, comment je devais m'arrêter pour tenir l’instant et le retracer. Oui, je vais t’écrire ça… je me dis, là, qu’en l’instant tu dois te dire “Wow ! c'est quoi tout ce pavé d’un seul coup !?” et ça me fait rire… et ça me fait rire de l’écrire maintenant que je me relis alors que j’avais oublié de l’écrire au premier jet. Alors de quoi s’agit-il ? Bam-bam-bam ! les choses s’empilent, se superposent c'est violent parce que c'est instantané… il faudrait trouver une structure, un sens. Pourquoi écrire demandait Sartres, et je réponds “pour qui ?” parce qu’il a éludé la question sous prétexte que ce serait pour personne alors que c'est dans cette contradiction (superposition ?) que ça se joue… “c'est dans la répétition que réside le symptôme” avais-je entendu un soir à la FIAC dans ma période parisienne, dans une mise en scène poignante (? le point d’interrogation c'est que j’étais avec une copine qui ne trouvait pas ça poignant) de l’exercice vain de la psychanalyse. Et je vois justement des lumières, c’est la lune, ah mon inspiration ma muse ? non ce sont des grues, oui il y a des travaux mais où, que se passe-t-il dans ce quartier ? Il y a une dynamique d’aménagement, la ville grandit et il faudrait adopter une approche démographique. Car c’est ça aussi le présent, un instant de l’histoire en marche. Maintenant que j'ai fini Une Esquisse de l’Histoire humaine de Todd, il faut faire une ultra-brève esquisse de l’histoire de l’humanité, c’est ça le projet… peut-on en faire un livre ? L’idée c’est la superposition, je me le re-confirme à moi-même, il faut que je tienne cette idée, là maintenant, je pense à l’ultra-présent, je vais te raconter ça quand je serai revenu dans le temps. C'est un nouveau dispositif narratif, comme les pièces de théâtre classique où l’action se passait sur une journée et en lieu… à la radio l’auteur parle de localité… non, l’ultra-présent c’est l’ultra-localité, c’est l’ultra ici-et-maintenant. Le temps… la sélection naturelle nous a fait accéder au temps qui passe, c’est à cause de l’épuisement du présent. Rien n’est épuisé, encore. L’ultra-présent est là, je dois le tenir, qu’il dure ou plutôt ne dure pas. Je sais que je ressens le cuir du volant sous mes mains, j'essaie d’adapter mes mouvements à la douceur du cuir… peut-on avoir une conduite sensuelle ? ça c'est une question que je me suis déjà posée. Mais là maintenant je sens surtout ma poitrine gonflée, un élan, parce que je me dis, oui, c’est ça que j’ai envie te dire là maintenant. Je pense à toi, c'est une manière de me faire penser à toi. Mais alors la mémoire… ça va être dur de me souvenir de la superposition de ces pensées et mes sensation passent et sont difficiles à retracer, et au moment où j’écris je sais que j’ai oublié la moitié, je me presse de rentrer, je me presse de ne pas installer ma réflexion, je me presse d’écrire, je me presse de me relire, je ralentis le temps qui passe. Mais déjà il me rattrape, il m’a rattrapé, et comment je vais pouvoir écrire tout ça ? je compte sur mon écriture au moment d’écrire, l’action, dans le présent, va tout rattraper, je sais que sur le moment je serai capable de faire semblant de retrouver le présent… et c'est bien ce que je fais, je le reconstruis là maintenant en l’écrivant. Mais je passe, ça c’est le futur, ou plutôt le passé puisque c'est maintenant que j’écris… le temps me rattrape, vite je dois me dépêcher de le ralentir. Je suis chez moi je prends mon ordinateur, je vais t’écrire l'ultra-présent, je t’écris l’ultra-présent.

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