18 juin 2006

My country

Quand j'étais petit j'entendais parler d'un autre pays. Il n'y avait jamais véritablement de sujet de discussion dévolu, c'était plutôt une présence lors des dîners de famille, lorsqu'on se retrouvait entre cousins.
Il y faisait beau, les gens étaient heureux. La famille semblait toujours présente là-bas : tout le monde toujours ensemble. Et puis il y avait des noms de lieux, de villes ou de quartiers inconnus. Dans ces réunions de famille les gens parlaient fort avec des drôles d'accents, on s'embrassait tout le temps, on riait parce qu'il y avait des histoires folles et je sentais bien que ces histoires plus personne ne pourrait les vivre. Car ce pays était un pays de liberté et d'aventures où circulaient tant de personnages... et où parfois nous étions un peu des rois. C'était un peu les westerns ou les films de Fellini que je voyais parfois ou même Out of Africa dans une autre mesure et un peu plus tard. De temps en temps j'entendais mon grand-oncle parler une langue rigolote, c'était une sorte de langage codé avec d'autres vieux.
Moi je jouais surtout et avant tout. Je jouais avec toute cette bande de cousins qui étaient comme des bons copains mais des copains imposés.
Et puis après, peut-être en prêtant plus l'oreille aux discussions, ou les discussions se faisant de plus en plus construites autour de ça, j'ai découvert que tout le monde en était parti et qu'il était loin. Ma maman, elle, et ça ça me parlait, avait découvert la neige à 12 ans et j'avais du mal à comprendre.

Petit à petit les vieux ne parlaient plus que de cela : le pays. En fait il n'y avait pas que le pays il y avait l'époque aussi mais ça je ne le savais pas. En tous cas les gens semblaient toujours en train de danser ("Ah ça..."), de partir en voiture à travers la campagne, personne ne travaillait finalement quand j'y repense... Et puis il y avait ces vieilles photos en noir et blanc sur lesquelles les gens avaient de belles tenues.
Bien entendu pour moi cet ancien pays, interdit pour des raisons encore inconnues de moi, et l'ambiance de ces fêtes familiales c'était la même chose. Toutes ces personnes que je ne connaissais pas, à qui il fallait donner mon nom, dire qui était ma maman pour qu'ils sachent qui j'étais, mais qui étaient comme moi, m'aimaient rien qu'en me voyant. Et puis on parlait très fort, on riait encore plus fort, on se prenait dans les bras les uns les autres... toujours avec la présence de ce quelque chose, les yeux brillants de souvenirs et de rêves. C'était certainement ça aussi pour moi le pays.
C'est devenu finalement un lieu imaginaire. Bien sûr on m'a raconté l'Histoire plus tard, en commençant par l'exil. Mais je ne voyais aucun lien entre cette Histoire qui semblait véridique et officielle comme dans les livres, et celles racontées avec tellement plus de chaleur et qui semblaient finalement beaucoup plus vécues. Peut-être est-ce là que j'ai distingué la différence entre vérité, réalité et vécu ? Mon grand père racontait ses histoires d'aventures farfelues, c'était pareil, et puis mon papa de son côté me racontait tellement d'histoires... Sauf que là les récits avaient une force incommensurable car lorsque quelqu'un prenait la parole ils étaient corroborés par dix-vingt personnes qui pouvaient ajouter des détails ou en discuter d'autres sans jamais remettre leur fondement en cause. C'était passionnant et d'une richesse qui semblait sans fin. Nous avions même un nom de guerre comme les indiens : nous étions des "Pieds-noirs" !

Puis les vieux ont commencé à mourir, j'ai commencé à comprendre ce qui s'était réellement passé, je reconnaissais les conteurs... Plus tard encore j'ai rencontré des gens ayant vécu la même histoire mais complètement retournée, et j'ai pu discerner les liens que le vécu avait tissé avec l'Histoire. J'ai même finit par découvrir l'érosion ou l'enrichissement des souvenirs par le temps.
Il n'empêche que pour moi il reste le rêve comme il reste la famille.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est très beau , ça m'a fait verser une larme , je ne pensais pas à cette "imprégnation" .... je ne pensais pas à une telle force du passé .... et de la famille , qui m'a marquée de même que toi d'ailleurs , et dans le même sens . Et c'est pour cela aussi que je suis triste de voir notre petite famille s'éparpiller sans que j'eusse su la rassembler , mais ça c'est le temps qui en fera un bilan avec vos enfants .
Maman la Moune

Anonyme a dit…

Salut Ropi, bravo pour ce texte, tu mets des mots sur des moments intenses et brefs - les réunions familiales - que certainement, beaucoup de nos cousins ont ressenti comme toi ;-) Et il y a plein d'autres choses à discuter, je me réserve pour plus tard !

A plus, bonne journée !

Cédric