26 septembre 2006

Construction

Je déambule dans le vieux bâtiment de guerre qui sert maintenant de base de lancement. Malgré les lumières ajoutées on sent encore cette nécessité de passer inaperçu: elles semblent opaques, absorbées quasiment à la sortie de leurs ampoules. Mes pas ne font aucun bruit sur la grille même en essayant de faire claquer mes grosses godasses. Je croise plusieurs personnes, la plupart que je ne connais pas, qui me souhaitent bonne chance. Je me concentre.
La porte du hangar s'ouvre à mon approche en reconnaissant ma signature. L'ambiance est lugubre. On voit la structure rigidifiante naître à cet endroit qui ressemble à une cathédrale obscure. Le hangar est presque vide, il n'y a dedans que mon petit véhicule, ma "fourmi" comme je l'appelle.
Dans le sas j'enfile ma combinaison puis rentre dans l'espace dépressurisé. Un chemin de lumières violettes essaye de me montrer la voie à suivre mais mon véhicule illuminé de l'intérieur est à peine visible. J'approche, je monte dessus et ferme le cockpit. Je me sens plus à l'aise dans cet espace confiné et les lumières chaleureuses qui s'animent, je me sens à nouveau vivant. Un son se produit autour de moi, presque imperceptible tellement il est grave puis plus rien, la mort. La fenêtre s'ouvre et de la lumière apparaît du dehors... le vide, l'espace.
Ma radio s'allume, les dernières recommandations techniques, le téléchargement et visualisation de la route, la check-list... je sais que dans quelques minutes je ne pourrai plus avoir de lien avec personne. Je respire profondément et enclenche le saut pour me propulser dans le vide. Ma respiration s'accélère et je dois lutter contre mon impression de vertige. Ca y est je vois les lumières de l'installation, en bas, et les derniers astronefs qui s'en échappent. A ma gauche, la Terre est gigantesque. Ce repère visuel me rassure et m'effraye en même temps. Je saute cette fois-ci vers la plate-forme qui expire pour libérer la route. Tandis que je commence à me rapprocher les moteurs à poudre s'allument et explosent d'un seul coup. C'est parti, plus de retour en arrière possible. J'envoie une impulsion pour dépasser ma cible et envoie mes connecteurs à grappins. Guidés par faisceau laser ils sont tous arrimés, je saute derrière à nouveau et imprime une légère rotation pour l'entrée dans l'atmosphère.
Je suis en place, j'ai même deux secondes d'avance. J'observe la Terre et devine mon point d'entrée. Je contrôle ma position et saute vers l'avant au dernier moment, c'était moins une. Des vibrations commencent à se former autour de moi, ma fourmi est tirée vers l'arrière et son nez commence à brûler. Ca va commencer à être dur, j'allume mes propres fusées au moment où je suis tiré vers l'arrière et à gauche très violemment, je stabilise. Je traverse une première couche nuageuse à grande vitesse, derrière moi mon harnachement hurle de douleur mais tout tient bien encore. Un dangereux mouvement de rotation commence à apparaître au milieu de tous les tiraillements violents que nous subissons, c'est le plus dangereux car difficile à détecter, je stabilise. La haute atmosphère est dépassée et la densité de l'air est plus grande, je ne peux plus faire de saut et amorce ma manœuvre de pilotage. Je passe derrière, lance la procédure d'alignement tandis que mes radios fonctionnent à nouveau. Je dois ralentir.
Les lasers s'allument, je suis en retard de deux centièmes mais je rétablis non sans mal. Le vent est assez fort à l'avant tandis qu'il est inexistant sur la droite, au centre les mouvements d'air sont anarchiques et les vibrations sont chaotiques, l'arrière rentre en résonance alors que j'approche de la surface, j'essaye de corriger jusqu'au dernier moment.
Ma radio hurle des ordres inaudibles, je reste encore, c'est toujours instable, je reste encore, encore.
Je décroche.

Je viens de déposer 650 kilomètres d'autoroute, sept échangeurs, 45 ponts, 8 stations essences, 12 aires de repos, peinture et signalisation incluses.

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