03 novembre 2006

Vernachlässigung

Le chemin de dalles de pierres claires, en ligne droite, conduisait Calide entre deux surfaces noires, d’abord planes puis s’élevant suivant la courbure d’une dune, immenses dont la régularité n’était troublée que par cette route. Il ne put s’empêcher de vérifier qu’en effet il s’agissait de sable et par conséquent, selon le dessin des courbes, qu’il se trouvait dans la partie sous le vent de la dune. En continuant après la crête, le chemin se transformait petit à petit en pont qui enjambait un gouffre d’une profondeur d’au moins 500 mètres au fond duquel coulait une rivière. Calide observa le gouffre assez longtemps, mais ne parvint pas à affiner les distances tant le pourcentage de la pente qui descendait dans le gouffre était faible. Les distances dans ce paysage complètement artificiel et aride étaient en effet gigantesques, et Calide, pressentant que sa marche allait prendre plus de temps que prévu, ne voulu plus s’attarder à l’étude architecturale de ce qui était déjà à cet endroit le palais de Finsternis. Un examen plus profond lui aurait permis plus tard de faire une remarque, non constructive mais intéressante : la rivière au fond de la ’’vallée” n’avait pas de source, ni d’embouchure, elle coulait en boucle fermée, en cercle parfait même, tout comme l’unique dune qui l’encerclait, sans différence d’altitude, entraînée dans un mouvement sans fin. Une seconde dune, plus petite, se dessinait à la fin du pont, et à force qu’elle perdait de l’altitude suivant une hyperbole, elle laissait place à un parterre de dalles de pierres pareilles au chemin, mais nettement délimité en raison de son caractère sauvage. Le parterre semblait en effet laissé à l’abandon, parcouru de quelques mauvaises herbes, alors que la rectangularité parfaite et la propreté des dalles disjointes laissaient entrevoir le soin qui, au contraire, lui était prodigué. Cette surface s’étendait sur des kilomètres, sur les côtés Calide put enfin s’apercevoir que les dunes formaient effectivement deux cercles concentriques. Les formes qu’il voyait de loin, toujours en allant de l’avant sur le chemin étroit et toujours rectiligne qui lui était de toute évidence conseillé, se dessinaient peu à peu autour de lui : il les prit tout d’abord pour de grands blocs de pierre parallélépipédiques grisâtres et recouverts par endroits de végétation, puis il fut obligé de reconsidérer ses impressions, les blocs n’étaient pas grands mais énormes. L’un d’entre eux l’avait attiré le premier, tout d’abord il était noir, puis il se trouvait en plein milieu du chemin. Il pensait au début que ce bloc était le plus proche de tous car il était plus grand, et sa régulière obscurité empêchait une réelle évaluation de sa distance. L’espace entre chaque bloc géant assez conséquent, malgré le vertige qui montait en lui, aida Calide à prendre conscience assez vite des dimensions impressionnantes du bloc central. Mais la distance qui l’en séparait était encore grande, et il lui fallut plus d’une heure pour avoir dépassé la zone des géants, qui devaient être environ une dizaine, absorbé par le gigantesque bloc Calide ne comptait plus, et se rendre compte des incroyables dimensions de ce colosse de pierre ou d’autre chose. Une heure encore après, il arriva au pied de cette chose qu’il ne regardait plus sous peine de vertiges et de torticolis. Il avait eu peur un instant que le chemin arrivasse en plein dessus et qu’il fut obligé d’en faire le tour, heureusement un petit escalier aux marches abruptes descendait à une ouverture bien en dessous de la surface du sol. A la sortie du grand tunnel sous le bloc central, malgré les marches aussi abruptes qu’à l’entrée qui le séparait encore de la surface, il se sentit défaillir et avança avec difficulté. Après avoir monté l'escalier en fermant les yeux, il s’arrêta, respira une grande bouffé d’air. Il ouvrit les yeux sur le spectacle émouvant de ce qui constituait la plus importante partie du palais de Finsternis. Sur les côtés, les dunes noires, à cet endroit précis, se confondaient avec l’horizon, et le colosse noir, juste derrière lui et qui ne servait en fait qu’à faire obstacle à un regard précoce de l’édifice, n’était plus qu’un souvenir lointain.

La ’’Salle”, qui se trouvait au centre du cercle formé par les dunes, était encore loin. Calide s’assit en tailleur dans l’axe de la perspective, il n’y avait plus de chemin, plus qu’un homogène parterre de dalles, toujours les mêmes, pour reprendre son souffle. Après quelques minutes de repos devant le paysage glacé et merveilleux qui lui était offert, il s’aperçut enfin, éveillé peu à peu par son odorat, de la présence d’un plateau-repas déposé sur le sol, à sa gauche. Il commença tout d’abord par boire de l’eau dans un très grand verre en cristal qui était d’un diamètre commun mais petit par rapport à sa taille, ce qui le rendait fin, sans qu’il ressemble en rien avec un vase. Il se servit un second verre, puis commença le repas : un pavé de rumsteck à l’oignon accompagné de ratatouille. C’était simple, mais délicieux, et servi dans une assiette ovoïde asymétrique en porcelaine blanche sans bord, les couverts à disposition était en argent et de forme commune, très bien équilibrés. En dessert, une banane, fruit assez apprécié par Calide, avait été jugée suffisante.

Calide, après avoir bu encore deux ou trois fois après le repas qui avait déjà été arrosé, se releva. Il se demanda si finalement la chaleur n’était pas pour quelque chose dans sa vision, et pensait à un mirage. Il reprit sa marche en ayant rejeté un regard sur le titan noir, sachant qu’un tel monument annonçait en effet que la Salle était de dimensions inimaginables telle qu’elle se présentait à lui.

La Salle avait des dimensions impressionnantes, certes environ 2000 mètres de haut et 500 mètres de circonférence ne sont pas improbables, mais dans ce désert ou les seuls points de repère sur 7 kilomètres sont des dalles d’un mètre de côtés tout homme serait déconcerté. Si les dimensions n’en sont pas improbables, ses caractéristiques sont hors normes. La Salle est en effet d’un seul et unique bloc de marbre très clair, sur le fond bleu du ciel et à bonne distance elle semble faite de glace, à sa base elle est constituée d’un disque de 666 mètres qui s’incline très légèrement vers son centre. Trois piliers s’élèvent sur 1999 mètres, disposés sur le diamètre du disque à distance égale l’un de l’autre, deux, encadrant la perspective, symbolisent la porte, tandis que le troisième, dans l’axe de la perspective face au bloc noir, symbolise le mur, semblant soutenir le ciel. Ces piliers ne mesurant que 96 mètres de large en leur base et 7 mètres d’épaisseur semblent défier la loi de pesanteur. En effet s’élevant tout d’abord verticalement sur 400 mètres, ils se penchent vers le centre du cercle suivant un angle de 5 degrés par rapport à la verticale tout en s’affinant pour, à l’altitude de 1999 mètres être large de 32 mètres et de 1 mètre d’épaisseur. Au centre de la Salle, le marbre blanc laisse place à une couronne de marbre bleu comme le ciel de 333 mètres de diamètre à l’extérieur puis de 300 mètres à l’intérieur, puis à un disque de 5 mètres de diamètre de marbre noir, toutes ces couleurs géométriquement disposées naturellement, toujours dans un même bloc de pierre.

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