08 avril 2007

Consubstantiel, ad-hoc, complet et vain (1 - champ 52)

Je l'avais rencontrée à la petite université de Dathopec. Je me rappelle de ces petits cubes blancs aux vastes baies vitrées qui en constituaient les locaux au milieux des arbres, sur les bords du lac des Mille Feux toujours calme et scintillant.
Dans cet endroit reculé et oublié de tous j'avais pu continuer mes études malgré les recherches des forces de la République envoyées après moi.

Les cours étaient souvent intéressants et abordaient l'enseignement avec un tout autre point de vue que dans la grande université de Ban-Basile. Petit à petit j'y comprenais comment j'avais été manipulé, trompé, depuis si longtemps. J'en voulais à mes parents qui m'avaient caché toute la complexité du monde à ma propre soeur qui désormais se retrouvait en plein coeur du nouveau système politique. Mais après tout: ne m'étais-je pas battu, moi-même, pour permettre sa mise en place et faire croire à sa gloire avant de mettre en ordre toutes les pièces du puzzle ? Bien souvent je pleurais, seul dans ma petite chambre d'internat malgré le beau soleil qui régnait toujours présent dans cette région. Je ne voulais me lier avec personne, de toutes façons je ne pouvais pas leur faire confiance et à la discrétion autour de mon secret tenait la survie de tout notre univers.

Elle s'était mise sur le rang devant moi. Je l'avais déjà vue mais je ne l'avais pas considérée outre mesure jusqu'alors. Le cours intéressait peu d'étudiants, moi non plus, et je me mis par hasard à l'observer. Sa coiffure était un peu étrange. Elle était brune avec une fine mèche rose sur la gauche, la peau étrangement bronzée couleur de caramel, les galbes de son corps étaient ceints par des vêtements de différentes teintes vertes multi couches et assez serrés laissant imaginer la matière de son corps. Elle était calme et mesurée, s'amusant avec un voisin. Ce dernier avait des gestes très chaleureux à son encontre et je sentis monter en moi une sorte d'envie inexplicable. Tout ceci fut vite oublié.
Pourtant deux semaines plus tard elle vint s'asseoir à mes côtés tandis qu'elle était en retard à un cours sur un nouvel enseignement. Nous fîmes connaissance rapidement, elle s'appelait Sarité et était originaire de Braijac dont elle me parla longuement avec mélancolie et émotion. Je lui inventai des histoires à mon sujet car étrangement elle ne semblait pas vouloir suivre le cheminement des boniments habituels que je sortais aux autres. Ses questions étaient toujours surprenantes, elle rebondissait toujours à contretemps avec un esprit vif mais étrange. J'aimais bien aussi sa façon, parfois, de mélanger les mots lorsqu'elle voulait exprimer des choses qui lui semblaient importantes. C'est de cette manière que nous commençâmes à nous lier d'amitié.

Après quelques semaines je sentais qu'elle s'interrogeait sur la distance que je ne me lassais pas d'entretenir entre nous mais je savais que je ne pouvais raisonnablement pas m'attacher et encore moins l'entraîner dans cette merde qui allait un jour me rattraper. Mais un jour au cours d'une étude botanique nous nous sommes retrouvés seuls au milieu d'une petite clairière romantique. Elle était très belle. Je lui tendis la main tout en marchant dans les hautes herbes, elle la prit dans la sienne. Nous avons marché jusque de l'autre côté pour se retrouver de nouveau sous les arbres. La lumière était parfaite et nous nous sommes tenus là à regarder le paysage un moment dans le silence, avec le lac qui scintillait au loin. Je me tournais finalement vers elle, lui touchais la joue en lui demandant si elle avait envie de travailler...


J'avais oublié que c'était inéluctable.
Je ne pensais plus que l'univers existait par delà notre petit monde.
Je croyais que désormais tout allait avoir un sens.
J'avais voulu me balader ce dimanche dans les vallons derrière la forêt. C'était un peu loin, j'aurais voulu que Sarité vienne avec moi mais elle avait des choses à faire. C'est idiot de se dire ça mais je regrette de ne pas avoir insisté, je m'en veux même si elle ne se serait pas laissée faire de toutes façons.
J'avais pris le train à vapeur bricolé par les habitants, j'avais pique-niqué au milieu de la nature, des hautes herbes qui ondulaient avec le vent. Lorsque le soleil a commencé à descendre j'ai repris mon petit baluchon et je suis rentré.

Le lac brûle encore. Les cubes blancs sont éventrés, les arbres explosés. Partout je découvre les corps de mes compagnons raidis par le feu. Les yeux pleins de larmes, je me mets à chercher Sarité partout, frénétiquement, tout en titubant à la limite de l'évanouissement. J'aperçois ce qui ressemble à des pieds derrière un passage de porte, c'est elle, je le sais, je le ressens au plus profond de moi. Je m'approche, lui saisi délicatement le corps qui s'effrite sous la pression de mes doigts, la paume de la main sur ce qui était son crâne. Je peux l'entendre en moi qui crie de douleur, je veux l'aider, la soulager. Je crie de toutes mes forces en arrachant l'anneau qui est à mon cou.
Je jure que je me vengerai de tout. De tout ce que vous m'avez fait, de tout ce que vous avez fait à d'autres et de vos calculs cyniques. Je me vengerai de ce que vous lui avez fait. Je me vengerai de ce que je n'ai pas réussi à la protéger. D'une manière ou d'une autre.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve que le mot "merde" gache un peu la quiétude qui s'installait dans ton récit. On s'imagine un paysage paisible, un couple qui se forme, un amour possible et ce mot qui détruit tout d'un coup.

Dommage.

J'aime bien la fin, tous ces morts c'est d'actualité, c'est frais ;op

Ropib a dit…

J'aime bien la gaité. Je me demande pourquoi la ballade solitaire dans la nature suivie du retour à une société exterminée entretemps revient si souvent...

Hmmm, désolé pour le mot. C'est vrai que la vulgarité est une facilité. J'avoue que je me lance sur ce truc un peu à la va-vite (ça fait 10 ans que j'y pense seulement) mais il faut que je me botte les fesses des fois.

Disons que je suis plus d'humeur pour la suite que pour cette historiette (prendre la chose de cette manière est peut-être une erreur, je ne sais pas encore ce que j'exprime)... et puis en fait je l'assume ce mot. La quiétude avant la mort est une erreur, ou... la complétude ad-hoc de la consubstantialité vaine (si j'y arrive, je me demande s'il ne s'agit pas là d'une antithèse).

Anonyme a dit…

L'historiette comme tu dis donne du (son ?) sens au personnage central de l'histoire.

La destruction, la mort de Sarité, la vengeance... tout est la. La personnalité émerge de ce chaos, de cette désolation.

D'ailleurs , le petit gars du peuple deviendra grand plus tard dans l'histoire...