18 juin 2007

Penn ar Bed

Après le parcours de la route effilée bordée des 9 platanes, ou plus, je me retrouvais enfin où je le voulais: aux portes du monde.
L'endroit était calme et un peu fréquenté, si bien qu'à ce moment je ne croyais pas encore à la véracité du caractère final du lieu. Un peu amusé, nettement dubitatif, je descendis donc confiant dans une couche de brouillard jaunâtre de faible densité. J'avisais un homme qui mimait la pêche et qui me dit: "Ici on peut retirer quelque chose, mais c'est vrai que ce n'est pas tous les jours. Il faut attendre et voir ce qu'on peut attraper, mais ce n'est pas dit qu'on attrape forcément quelque chose au bout du compte."
Je décidai de continuer mon chemin en lui souhaitant bonne chance.

Je sentais dans l'air le flux et le reflux de la vie tandis que le ciel propageait tranquillement une lumière rouge comme le sang. Je vis alors venir à moi quelques formes du passé auxquelles je me sentais bizarrement étranger. Une mélancolie prit pourtant un peu place dans mon coeur pendant un instant ; puis une solitude. Les rares passant se faisaient discrets désormais et leurs pas incertains semblaient plus fuir que se diriger réellement dans une direction. C'est alors que je remarquai les deux soleils couchants à ma gauche.

Continuant mon chemin je goûtais à la liberté en me laissant inspirer par la sérénité du lieu, jusqu'à l'ivresse. Au loin je devinais, dans une lueur s'amenuisant, 5 ou peut-être 6 silhouettes fuselées s'étirant du sol vers le ciel sur peut-être quelques mètres. C'était par là que je voulais aller.
La lumière disparaissait petit à petit dans un crépuscule amer. Mon coeur semblait battre moins fort et le froid prenait doucement possession de mes extrémités ; devant moi je m'apercevais que les silhouettes étaient alignées plus loin que je ne le pensais. Révisant ma mesure mentale de leur dimension je comprenais qu'elles m'exhortaient à rebrousser chemin. C'est la peur désormais qui montait en moi, me rendant compte que depuis un moment je m'étais mis à entonner une petite comptine pour me donner courage.

Dans une obscurité presque totale je me trouvais maintenant au pied de géants endormis. J'avançais à tâtons, m'attendant à tout moment à sentir au bout de mes doigts une paroi invisible, un mur séparant notre de monde de ce que je voyais être vide de l'autre côté. Mais je dépassai maintenant de 2 ou 3 mètres la barrière formée par les géants. A bout, exterminé par l'effort consenti à surpasser ainsi la vie elle-même, je marquai mon nom à l'encre naturelle et imprégner ainsi le lieu de la trace de l'homme.


Je rebroussai alors chemin pour revenir à l'humanité.
Au loin, très vaguement je voyais une lueur orangée: un feu? un phare pour orienter les âmes perdues comme la mienne ? Au loin à droite je voyais un clignotement prendre vie.
A mesure que j'avançais je ré entendais le sac et le ressac d'une mer peut-être pas trop éloignée. Tout à coup des lumières s'allumèrent devant moi. Folles, elles voletaient littéralement en prenant même des trajectoires impossibles. Une certain angoisse m'assaillit à nouveau à l'idée de rencontrer peut-être des formes de vie jusque là inconnues. Croisant des ombres de plus en plus nombreuses j'entendais la vie renaître petit à petit par de petits grincements ou cliquetis étouffés dans un sous-bois encore intangible. Je dépassais les lumières sans y trouver finalement plus d'explication pour avancer encore vers ces lueurs qui s'organisaient petit à petit en éclairages d'une ville fantomatique. Les silhouettes prenaient corps à mesure que je revenais. J'entendais des chuchotements et ici je vis des êtres en réunion secrète autour de ce qui était peut-être le début d'un foyer.
Je rencontrai l'amour, et la sensualité de l'intimité partagée ; au milieu d'un grand calme, sous des nuages écumant dans un ciel noir.
Seul encore je m'embourbai dans des sables mouvants. La chaleur revenue dans mes muscles et la volonté dans mon coeur, je réussi à me sortir de ce piège tendu au travers de maisons abandonnées. A quelques mètres une petite communauté de jeunes gens festoyaient la vie collective.
En haut des marches je trouvaient une société organisée, des hommes et des femmes prenant place et jouant à exister et se faire exister. Passé le dégoût de la superficialité et la désolation des rapports entres les individus, je me réintégrais à ce monde que je reconnaissais comme miens et auquel, finalement, j'appartenais moi aussi.


Le lendemain je décidai de retourner aux confins du monde et y glaner quelques informations. Ce que j'avais pris la veille pour des géants endormis étaient en fait des cyclopes pétrifiés par une force inconnue et le chemin n'avais pas été vierge de tout contact avec l'humanité puisque avant moi, en 1965, mais peut-être d'autres encore avant, un petit groupe organisé en commando s'y était déjà partiellement aventuré.

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