11 décembre 2008

La fin des certitudes

Avec la multiplication des informations, redondantes, contradictoires ou parallèles, il est devenu habituel d'apposer à chacune un niveau de confiance pour déduire des comportements plus ou moins automatiques pour prendre de bonnes décisions ou les justifier le cas échéant. On peut d'ailleurs remarquer que de nombreux acteurs de la nouvelle économie essayent de la mettre en pratique au niveau du web, avec des ambitions allant jusqu'à l'authentification.
Si la totalité de l'information est accessible il est possible théoriquement de prendre toutes les décisions optimales et l'investissement dans la recherche des niveaux de confiance devient intéressant quand la mesure de la confiance est elle-même mesurée. A partir d'un niveau d'information ainsi qualifiée la gouvernance est dominée par les mathématiques.
En revanche si l'idée même de totalité est erronée, non pas simplement dans la faisabilité d'un accès mais jusque dans sa substantialité, il s'avère que l'accumulation de l'information est contre-productive. La mesure de la confiance se retrouve être ainsi faite sur une échelle ouverte et l'incomplétude de son auto-référence minimise indéfiniment sa pertinence (plus on étudiera le niveau de confiance à accorder à une information plus celui-ci baissera).

Des études démontrent des différences importantes entre les décisions prises dans un milieu d'incertitude et celles prises dans un milieu averti. Par exemple la question fermée posée à des étudiants « Allez-vous prendre des vacances après les résultats de vos concours ? » reçoit une réponse positive lorsque l'incertitude est artificiellement évacuée (en ajoutant n’importe quelle condition : « si vous avez réussi » comme « si vous avez échoué »), avec une argumentation logique, mais une réponse négative lorsque l'incertitude reste en suspens. Ce genre d'étude ne mesure aucune qualité mais démontre que ce n'est pas l'analyse exhaustive des diverses alternatives qui conditionne la décision.
En revanche des études récentes étudient justement la qualité des décisions prises. Elles démontreraient que statistiquement nous serions plus à l'aise dans le traitement d'un nombre limité d'informations peu fiables que dans le traitement de nombreuses informations presque certaines. Si on considère un système social où chaque acteur se retrouve à la fois répétiteur, filtre et interprète de l'information par rapport à une hétérogénéité dans les processus de gestion de chacun, l'entropie devient importante à mesure que l'information est échangée.

On pourrait en conclure que le capitalisme professionnel qui entraîne les travailleurs à garder précieusement chaque information et emmagasiner des compétences rares est un système plus stable qu'un système social dans lequel l'information circule. La rareté, la rusticité et la difficulté de l'échange permettent d'en évaluer la valeur de manière quasiment objective. Enfin la confrontation bilatérale de particulier à particulier pourrait y être la règle, tout système collectif ne devant servir qu'à contrôler le respect de la clause anti-collective d'une interaction.
Ce système est assez coûteux car tout emballement nécessite l'utilisation de ressources importantes pour revenir à une stabilité. De plus toute multilatéralité est facteur d’instabilité, or l'existence d'un système de contrôle introduit dès le départ un biais impossible à rattraper (plus il y a d’instabilité plus il y a volonté de contrôle, plus il y a de déperdition).

Serait-il possible d'apprendre à gérer une incertitude massive ? Il semblerait, mais il ne s'agit peut-être que d'un moment de l'Histoire, que nous nous dirigions vers toujours plus d'informations, de sources d'information, de réfutations d'information. Peut-être devrions-nous considérer l'incertitude elle-même comme une information fiable. De plus l’erreur découle d’un jugement sur l’écart entre les résultats attendus et effectifs, la capacité à utiliser des résultats accidentels pourrait être plus efficiente que la capacité à ne produire que des résultats attendus, il s’agirait de sérendipité. Il s’agit d’un travail plus scientifique, manipulation des descriptions de la réalité, que technique, manipulation de la réalité pour la faire coller à notre description.
D’un point de vue pragmatique nous pouvons observer que l’industrie consiste à maximiser la reproductibilité des résultats d’un travail, rendre celui-ci reproductible jusque dans ses aspects sociaux qui lui donnent un sens, c’est pourquoi on pourrait parler de représentation. Mais c’est aussi l’industrie qui, par sa réussite, amène les conditions de la surproduction, transforme son produit en déchet matériel ou immatériel et aliène le travail en spectacle. Faisons un état des lieux sans forcément remettre en cause les processus historiques qui amènent à une situation bien concrète et non apocalyptique pour poser plutôt les bases d’une projection dans l’avenir. Il serait étrange de penser que l’homme ne pourrait se mouvoir que dans un milieu d’incertitude, qu’il ne procèderait à aucune analogie et que la reproductibilité des phénomènes ne serait que néfaste. Considérons donc qu’il existe un effet de seuil au niveau social à partir duquel la reproductibilité ne rapporte plus, la quantité d’information n’est plus structurante. L’industrie serait donc nécessaire mais largement insuffisante.


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