10 novembre 2010

Buried, une réponse à Kubrick

Buried est un film-concept, un exercice de style. L’histoire est d’une simplicité terrible : Paul Conroy, se réveille dans un cercueil, le reste sert à nous tenir en haleine pendant quelques 90 minutes. Ce qui est formidable c’est que c’est un spectacle, le spectacle d’un seul acteur, filmé en temps réel dans un espace aussi grand que lui-même. L’image et le son sont très étudiés, le scénario plein de rebondissements en faisant deviner au spectateur l'entièreté d’une vie en péril, sans véritable raison. Mais, et pour aller dans le sens d’un certain nombre de critiques, on ne retire pas grand chose de ce cadre vaguement politique, au milieu d’une guerre en Irak qui ne semble pas non plus très signifiante... un film qui ne dit pas grand chose donc et qui nous fait sortir rapidement de la salle obscure, heureux de respirer enfin, soulagé et à nouveau insouciant.

Sauf que...
Sauf que cet homme enterré vivant possède un téléphone. Ce téléphone est un lien vers l’extérieur et celui-ci va lui permettre de s’accrocher à la vie et, pourquoi pas, de trouver des solutions à sa vie, peut-être même une signification dans un combat surréaliste contre une administration aliénée, à la recherche de sa femme et de son enfant, peut-être de son couple même, dépassant des conflits entre Nations, supérieurs mais ridicules. Un peu comme Denise au téléphone, film qui présentait en 1995 des américains de la classe moyenne supérieure ne vivant, et ne mourant, connecté entre eux que par l’intermédiaire de l’appareil, évitant de trop se rencontrer dans un contact charnel.
La connexion se fait ici avec l’ensemble de la société, par le travail, par l’état-civil et l’immatriculation sociale, par le consulat... et même l’argent. Et le film de proposer alors une aliénation entraînée par ce rapport de l’homme à la machine encore plus aboutie, dénoncée avec plus de vigueur.


Sauf que pendant presque tout le film il y a Dan... Dan qui est au bout du téléphone et qui parle à Paul. Dan avec sa voix apaisante, calme et intelligente. Dan qui n’abandonne pas Paul, même quand tout espoir semble perdu... Dan... ou peut-être... Hal. Oui, pendant tout le film je n’ai entendu que Hal. Jusqu’à voir cet oeil rond, toujours ouvert, mais qui n’est jamais montré à l’image. Ai-je divagué ? J’en doute... il aurait été si naturel de filmer plus explicitement l’objectif de la caméra intégrée au téléphone lorsque Paul enregistre une vidéo (qui sera diffusée sur Youtube et simultanément visionnée par des millions de personnes), simple mais trop évident. Cet œil rond, de Hal, machine infernale inventée par les hommes dans 2001 l’Odyssée de l’espace, est imaginaire, c’est celui qui est dans la tombe et qui regarde Paul, ou Caïn. Buried, dans un espace confiné et sans après, serait une réinterprétation de 2001.

Sauf que...

Sauf que nous sommes en 2010. Et contre toute attente, contre l’anticipation d’Arthur C. Clark, il n’échappe à personne que 2010 n’est pas l’année du premier contact, sorte de message de salvation après une apparition messianique dans les nouvelles liées au film de Kubrick. Car si Dan apporte le message de l’espoir à Paul, c’est pour mieux l’enterrer. 2001 l’odyssée de l’espace est un combat entre l’homme et la machine, et c’est l’homme qui gagne, qui s’émancipe. On aurait pu remarquer que cet homme émancipé n’est pas n’importe qui: un astronaute hyper entraîné, aux réactions stéréotypées... un homme fabriqué à l’image de la machine. Dans Buried, la machine c’est l’Homme. Pas seulement dans l’organisation politique de la Cité, les administrations et l’employeur disparaissant en effet assez vite derrière une amoralité industrieuse insupportable pour laisser place au véritable individu-machine: Dan et sa compassion froide et finalement effrayante, désincarnée. Le mythe de Caïn est une image de la fondation de la Civilisation. Désormais, avec Dan qui ne peut véritablement regarder Paul et qui refuse d’ailleurs toute introspection pour garder une efficience maximale et qui l’entraîne toujours plus profond en terre, il s’agit de l'ensevelissement de notre Civilisation. Le combat contre un ennemi inventé, le Mal, ou contre la mort... l’espoir lui-même est déjà un signe de la corruption de toutes nos fondations... c’est une image miroir du film de Kubrick.
L’avenir ne nous appartiendrait-il plus ?

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